Le lobbying autour de la « loi pouvoir d’achat »

Analyses thématiques PUBLIÉ LE 20 mars 2024

Chaque année, les acteurs de la société civile inscrits au répertoire des représentants d’intérêts sont tenus de déclarer leurs activités de lobbying.

La Haute Autorité propose des analyses produites à partir de ces données et destinées à montrer l’impact de l’activité de représentation d’intérêts sur la décision publique. L’objectif est de montrer ainsi « qui influence la loi », dans quel sens et avec quels moyens.


Dans un contexte d’inflation rapide, en réponse aux défis posés par l’augmentation des prix à la consommation, notamment ceux de l’énergie en raison de la guerre en Ukraine, des mesures d’urgence visant à soutenir le pouvoir d’achat ont été décidées au cours de l’été 2022. En juillet de la même année, l’Insee avait enregistré une inflation de 6,1 % sur un an, atteignant un niveau sans précédent depuis 1985.

Deux séries de mesures ont finalement été adoptées au Parlement, dans le cadre de la loi d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat et dans celui de la loi de finances rectificative pour 2022, toutes deux constitutives du « paquet pouvoir d’achat ». Ces initiatives ont été prises dans la continuité des actions menées par le Gouvernement depuis l’automne 2021, telles que le bouclier tarifaire énergie, une remise sur les carburants, l’indemnité-inflation, une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ou encore une revalorisation des prestations sociales.

La loi n° 2022-1158 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, connue sous le nom de « loi pouvoir d’achat », a été promulguée le 16 août 2022 et publiée au Journal officiel le 18 août. Le texte, qui a fait l’objet de plusieurs amendements, se divise en trois volets : la protection du niveau de vie des ménages, la protection des consommateurs et la souveraineté énergétique. En plus des mesures affectant directement les ménages, certaines ont ciblé les entreprises et leurs salariés. En outre, des dispositions relatives au transport routier de marchandises et aux carburants ont été prises.

Parmi les représentants d’intérêts ayant déclaré des activités sur le répertoire, 68 ont indiqué s’être positionnés en faveur du pouvoir d’achat lors de la période de l’élaboration du projet de loi. Il s’agit principalement d’organisations professionnelles œuvrant dans le secteur de la sécurité, mais également de sociétés commerciales, d’associations, de cabinets de conseil et d’un établissement public à caractère industriel ou commercial. 147 fiches d’activités témoignent des initiatives qui ont été menées et offrent une vision des positions défendues et des ressources mises en œuvre par chaque acteur.



Contexte et enjeux de la « loi pouvoir d’achat »

Le calendrier législatif

Le projet de la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat a été présenté en Conseil des ministres, en procédure accélérée, le 7 juillet 2022 par Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion, et Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, et a été déposé à l’Assemblée nationale le même jour.

Au Sénat, 312 amendements ont été présentés en commission et 458 en séance publique. À l’Assemblée nationale, 695 amendements ont été présentés en commission et 1134 en séance publique. Le projet de loi a été approuvé en première lecture à l’Assemblée nationale le 21 juillet 2022, puis au Sénat le 29 juillet 2022.

En commission mixte paritaire, réunie le 1er août 2022, un accord intégrant les modifications proposées par le Sénat a été trouvé. Ces modifications visaient à diminuer les cotisations sociales sur les heures supplémentaires, à autoriser le déblocage anticipé de l’épargne salariale et à accélérer la procédure d’extension des accords salariaux.

Le texte a été définitivement adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat le 3 août 2022. Faisant suite à deux recours parlementaires, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 12 août 2022, validant les dispositions qui lui avaient été soumises avec toutefois certaines réserves d’interprétation sur le fondement de la Charte de l’environnement. À ce jour, 31 décrets d’application de la loi « pouvoir d’achat » ont été publiés, soit un taux de 86 %.

Le contenu de la loi

La loi comprend dans sa version définitive 48 articles répartis en sept titres.

Les dispositions relatives à la protection du niveau de vie des Français (articles 1 à 14)

Afin de faire face à l’augmentation du coût de la vie, la loi comprend des mesures en faveur des ménages. Parmi elles, une revalorisation des pensions de retraite et d’invalidité de base, des allocations familiales, des minima sociaux et une prime d’activité. En outre, un bouclier plafonnant la hausse des loyers a été mis en place, ainsi qu’une interdiction de surloyers pour certains logements. Le chapitre 1 (articles 1 à 8) concerne la valorisation du travail et le partage de la valeur tandis que le chapitre 2 (articles 9 à 14) traite de la revalorisation anticipée de prestations sociales.

Les dispositions relatives à la protection du consommateur (articles 15 à 22)

Les différentes dispositions associées à la protection des consommateurs s’attachent à la résiliation de contrats (articles 15 à 19) et à la lutte contre les pratiques commerciales illicites (articles 20 à 22). Il s’agit de faciliter la résiliation des divers abonnements tels que le gaz, l’électricité, les magazines, internet, ainsi que les assurances et mutuelles, en effectuant la démarche en ligne ou via une application mobile. Ces dispositions ont pour objectif de favoriser l’accès à des offres plus économiques. Afin de garantir la protection des consommateurs, la loi sur le pouvoir d’achat vise en outre à accroître les sanctions applicables aux auteurs de pratiques commerciales trompeuses, agressives ou frauduleuses.

Les dispositions relatives à la souveraineté énergétique (articles 23 à 43)

Pour garantir la sécurité d’approvisionnement en énergie dès l’automne 2022, des mesures ont été arrêtées, incluant une trajectoire annuelle et un objectif minimal de remplissage des infrastructures de stockage pour une gestion plus efficace des réserves de gaz naturel. Ces mesures comprennent également la réquisition des centrales à gaz par le ministre chargé de l’énergie, afin qu’elles fonctionnent uniquement lorsque cela est nécessaire pour sauvegarder le système électrique. Par ailleurs, des mesures additionnelles introduites par les parlementaires comprennent des dispositions garantissant une alimentation minimale en électricité, en particulier pour permettre aux personnes en situation d’impayés de couvrir leurs besoins essentiels.

Ainsi, le chapitre 1 concerne la sécurité d’approvisionnement en gaz (articles 23 à 31), le chapitre 2 concerne l’approvisionnement en électricité (articles 32 à 36) et le chapitre 3 se concentre sur l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (articles 37 à 43).

Les dispositions relatives au transport routier de marchandises (articles 44 à 45) et relatives aux carburants (articles 46 à 48)

Ces dispositions particulières comprennent par exemple l’ajout d’un alinéa à l’article 301 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, offrant la possibilité de mettre en place un prêt à taux zéro pour l’achat d’un véhicule lourd, peu polluant, affecté au transport routier de marchandises. Des modifications de fond ont été insérées afin d’élargir la notion de « carburant » à celle de « produits » énergétiques notamment.



Les représentants d’intérêts actifs autour de la « loi pouvoir d’achat »

D’après les informations déclarées sur le répertoire accessible sur le site de la Haute Autorité, 68 représentants d’intérêts inscrits ont agi afin d’exercer une influence sur l’élaboration de la loi et/ou sa mise en application.

 




Les types d’actions que les représentants d’intérêts ont menées se répartissent de la manière suivante :

*Une même fiche d’activités peut contenir plusieurs actions de représentation d’intérêts.



Les responsables publics visés par les actions de représentations d’intérêts

Selon les déclarations des représentants d’intérêts, six catégories de responsables publics ont fait l’objet d’entrées en communication : les membres du Gouvernement ou de cabinet ministériel, les collaborateurs du Président de la République, les membres et collaborateurs des assemblées parlementaires, les personnes titulaires d’un emploi à la décision du Gouvernement, les agents de l’État.

Le Parlement

Les parlementaires, leurs collaborateurs et les agents des services des assemblées parlementaires figurent en tête des responsables publics les plus cités, mentionnés dans 115 fiches d’activités.

Vis-à-vis de cette catégorie, les représentants d’intérêts ont déclaré avoir principalement organisé des discussions informelles ou des réunions en tête-à-tête, transmis des suggestions afin d’influencer la rédaction d’une décision publique et établi une correspondance régulière (par courriel, par courrier…) pour transmettre des suggestions et des informations aux décideurs publics.

Certains représentants d’intérêts donnent des précisions sur leur activité. A titre d’exemple, la Chambre de commerce et d’industrie Nord Isère a indiqué, dans la partie « observations » de sa déclaration, avoir sollicité un entretien avec le sénateur rapporteur de la loi.

Les membres du Gouvernement, de cabinets ministériels et les collaborateurs du Président de la République

56 fiches d’activités retracent les actions entreprises par les représentants d’intérêts auprès de cette catégorie spécifique de responsables publics. Parmi ces déclarations, l’Association française des sociétés de placement immobilier indique avoir « adressé un e-mail au conseiller financement de l’économie au cabinet du ministre de l’économie, des finances et de la relance afin de s’opposer à l’adoption par l’Assemblée nationale lors du vote du projet de loi pouvoir d’achat d’amendements visant à plafonner l’indexation des baux commerciaux ». L’objectif de l’association était d’introduire un amendement afin de s’opposer au plafonnement de l’indexation des baux commerciaux.

Les agents de l’État

Concernant les actions menées auprès d’agents de l’État au sujet du pouvoir d’achat, 11 fiches d’activités citent cette catégorie de responsable public. Par exemple, GRTGAZ a déclaré avoir organisé des discussions informelles ou des réunions en tête-à-tête et avoir transmis des suggestions afin de « simplifier les procédures d’autorisations pour accélérer le raccordement d’un terminal méthanier flottant ».

Les personnes titulaires d’un emploi à la décision du Gouvernement

8 fiches d’activités, liées à des démarches de représentation d’intérêts, ont été entreprises auprès d’une ou plusieurs personnes titulaires d’un emploi à la décision du Gouvernement. Compte tenu du manque de précision quant à l’identité ou la fonction des responsables publics concernés, il n’est possible de raisonner que par grande catégorie.

Le Syndicat des indépendants a par exemple déclaré avoir sollicité cette catégorie de décideurs publics afin d’organiser des discussions informelles ou des réunions en tête-à-tête, et d’avoir transmis des informations, expertises dans un objectif de conviction. Le but de ces entrées en communication était d’« interpeller sur le plafonnement des loyers commerciaux et lutter contre la répercussion de la taxe foncière sur les loyers commerciaux ».



Les stratégies de représentation d’intérêts mises en œuvre

Les 68 représentants d’intérêts inscrits au répertoire et déclarant des activités liées à la « loi pouvoir d’achat » déploient différentes stratégies de lobbying. Les principales mesures visées concernaient la protection du niveau de vie des français et des consommateurs, la souveraineté énergétique, le transport routier de marchandises et les carburants.

Les mesures sur le niveau de vie

Ces mesures concernent les ménages, les salariés et les travailleurs indépendants. Des représentants d’intérêts se sont mobilisés pour renforcer la sauvegarde du niveau de vie des Français. Le répertoire témoigne d’initiatives visant à promouvoir les revenus d’activité et le partage de la valeur ajoutée, ou à revaloriser les pensions de retraite et les prestations sociales.

La Confédération des petites et moyennes entreprises s’est ainsi mobilisée en faveur de l’augmentation du « plafond maximal des sommes versées chaque jour par les entreprises et leurs salariés » des tickets restaurant. Les catégories de responsables publics visées par cette action ont été les parlementaires, leurs collaborateurs et les agents des services des assemblées parlementaires. Afin d’appuyer ses positions, la Confédération a déclaré avoir transmis des suggestions, informations et expertises dans un objectif de conviction et avoir établi une correspondance régulière (par courriel, par courrier…).

L’Union des entreprises de proximité s’est quant à elle positionnée pour « maintenir les allègements de charges sociales pour les entreprises des branches en incapacité de négocier des accords salariaux dont les minima salariaux sont supérieurs au SMIC ». L’organisation a déclaré avoir transmis aux parlementaires des suggestions afin d’influencer la rédaction d’une décision publique.

Dans le cadre du projet de loi, l’Association française de la gestion financière a défendu le « versement de la prime de partage de la valeur sous la forme d’un supplément spécifique d’intéressement ou de participation ». L’Association a indiqué avoir sollicité des parlementaires et leurs collaborateurs, par le biais de correspondances (courrier, courriel), en leur transmettant des informations et expertises dans un objectif de conviction, ainsi qu’en organisant des discussions informelles ou des réunions en tête-à-tête, ainsi que des évènements, rencontres ou activités promotionnelles.

Les mesures relatives à la protection du consommateur

Ces mesures concernent principalement les abonnements et assurances, et visent à protéger les consommateurs face à la hausse des prix. Il s’agit par exemple de faciliter les résiliations d’abonnement, ou encore de contraindre les banques à rembourser leurs clients victimes de fraude.

Dans le cadre de ces dispositions, France Assureurs a par exemple alerté les parlementaires en leur transmettant des suggestions concernant l’article 8 du projet de loi quant à « l’augmentation du coût de l’assurance qui en découlerait » et a suggéré « son application aux seuls contrats souscrits par voie électronique ».

Dans un autre registre, l’Union fédérale des consommateurs a indiqué avoir établi une correspondance par courrier ou par courriel avec des membres du Gouvernement ou des membres de cabinet ministériel, afin d’« obtenir une réduction du montant des frais de rejet de prélèvement dans le cadre de l’examen de la loi Pouvoir d’achat ».

Par ailleurs, l’association UNIDEN, qui représente les industries consommatrices d’énergie actives en France, a déclaré s’être positionnée en faveur de l’exclusion des « cogénérations sous obligation d’achat du dispositif de taxation de la rente inframarginale, dans le cadre du projet de loi pouvoir d’achat ». À cet égard, des démarches ont été entreprises en sollicitant plusieurs catégories de responsables publics par courrier, par courriel, ainsi que lors de discussions informelles ou de réunions en tête-à-tête.

Le dispositif de souveraineté énergétique

Ce volet a pour objectif de renforcer la souveraineté énergétique (titre III). Le premier chapitre est dédié à la sécurisation de l’approvisionnement en gaz. Il s’agit par exemple de donner la possibilité au ministre en charge de l’énergie de mettre en œuvre des mesures exceptionnelles, lorsque la situation l’exige en raison de menaces pesant sur la sécurité d’approvisionnement, que ce soit en électricité ou en gaz. Le chapitre II propose par exemple des dispositions liées à la sécurité d’approvisionnement en électricité, tandis que le chapitre III vise à structurer l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH).

En matière de représentation d’intérêts, TotalEnergies SE a souhaité « encourager la simplification des procédures pour accélérer la mise en production d’un terminal méthanier flottant au Havre compte tenu de la gravité de la crise énergétique ». À cet égard, TotalEnergies SE a sollicité des membres du Gouvernement ou de cabinet ministériel et a précisé avoir ciblé la Première ministre et le ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer.

Électricité de France (EDF) a sollicité des parlementaires et leurs collaborateurs, ainsi que des membres du Gouvernement ou de cabinet ministériel pour que soient encadrées « les modalités de réquisition éventuelle par l’Etat des centrales de production d’électricité à partir de gaz en période de menace sur la sécurité d’approvisionnement ». EDF a déclaré avoir transmis aux décideurs publics des informations et expertises dans un objectif de conviction.

Pour le compte de SNCF Réseau, Fret SNCF, SNCF Voyageurs, ainsi que pour son propre compte, la Société nationale SNCF a demandé l’obtention du « relèvement du plafond alloué pour l’ARENH ». Pour ce faire, elle a déclaré avoir organisé des discussions informelles ou des réunions en tête-à-tête et a transmis des suggestions afin d’influencer la rédaction d’une décision publique à des membres du Gouvernement ou membres de cabinet ministériel.

Les mesures concernant les carburants et le transport routier

L’Organisation des transporteurs routiers européens a déclaré sur le répertoire avoir proposé « des mesures en faveur du soutien aux transporteurs routiers afin de faire face à la hausse des prix du carburant ». L’entité a transmis à des parlementaires ainsi qu’à leurs collaborateurs des informations et expertises dans un objectif de conviction.

APF France Handicap s’est mobilisée pour « permettre aux conducteurs en situation de handicap de pouvoir bénéficier de la prime carburant de 700 € plutôt que 400 € dans le cadre de la proposition de loi Pouvoir d’achat ». L’association a déclaré avoir invité ou organisé des évènements, des rencontres ou des activités promotionnelles. Les responsables publics sollicités ont principalement été des parlementaires.

L’association Avere-France a, quant à elle, déclaré avoir sollicité les parlementaires et leurs collaborateurs pour que soit renforcée « l’accessibilité de la mobilité électrique dans un contexte de forte inflation » afin, entre autres propositions, de « garantir un régime d’aides à l’acquisition pour les véhicules à faibles et très faibles émissions et revaloriser le bonus occasion ».



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