Loi d’orientation des mobilités : les stratégies de lobbying

Analyses thématiques PUBLIÉ LE 8 décembre 2021

Chaque année, les acteurs de la société civile inscrits au répertoire des représentants d’intérêts sont tenus de déclarer leurs activités de lobbying. La Haute Autorité propose des analyses produites à partir de ces données et destinées à montrer l’impact de l’activité de représentation d’intérêts sur la décision publique. L’objectif est de montrer ainsi « qui influence la loi », dans quel sens et avec quels moyens.


Trente-neuf ans après le vote de la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI), texte structurant et fondateur pour le secteur, la loi d’orientation des mobilités (LOM), publiée au Journal officiel le 24 décembre 2019, visait à réformer le cadre général des mobilités en tenant compte de la transition écologique.

Le Gouvernement souhaitait rompre avec une politique de transports jugée coûteuse, axée autour du déploiement de grandes infrastructures comme le TGV, pour engager le développement de nouvelles mobilités du quotidien durables, plus propres sur le plan énergétique, plus inclusives et plus efficaces en termes de couverture du territoire.

Cette loi revêt des enjeux stratégiques. Elle ambitionne en effet de réussir la transition énergétique et écologique des modes de transports, d’orienter la politique d’aménagement du territoire vers un maillage efficace, de réduire les inégalités territoriales (en couvrant les « zones blanche » de la mobilité) et de développer de nouveaux services numériques au service de la mobilité pour tous.

Les débats législatifs relatifs à la loi d’orientation des mobilités ont fait émerger des lignes de fracture claires entre les différentes parties prenantes : une partie des représentants d’intérêts impliqués a déployé d’importantes stratégies de lobbying pour promouvoir l’innovation technologique comme levier de développement de nouvelles solutions de mobilité du quotidien, quand d’autres représentants d’intérêts ont fait valoir leurs propositions pour favoriser le déploiement des mobilités « douces » et « propres », présentées comme plus respectueuses de l’environnement. On peut citer pêle-mêle l’utilisation croissante de véhicules électriques, le développement de l’hydrogène, les incitations à la pratique du covoiturage et enfin le lancement d’un « plan vélo » d’envergure nationale.

Les déclarations de 132 entités inscrites au répertoire des représentants d’intérêts illustrent l’intensité de cette activité de lobbying. Il s’agit aussi bien de sociétés commerciales et de cabinets de lobbying que d’organisations professionnelles, de syndicats ou d’associations, qui évoluent dans les secteurs du transport routier, ferroviaire, aérien, et maritime. 413 fiches d’activités témoignent du nombre d’actions menées et révèlent les positions défendues par chacun des acteurs, ainsi que les moyens qu’ils y ont consacrés.

 

Contexte et enjeux de la loi d’orientation des mobilités

Le calendrier législatif 

La loi d’orientation des mobilités, promulguée en décembre 2019, a fait l’objet de nombreuses négociations entre les différents acteurs de l’écosystème des transports en France, et ce pendant plus de deux ans. Les Assises de la mobilité organisées par le Gouvernement à l’automne 2017 ont en effet posé les premiers jalons de la loi.

Le 26 novembre 2018,  François de Rugy, ministre de la transition écologique et solidaire, et Elisabeth Borne, ministre chargée des transports, ont présenté le projet de loi en conseil des ministres. Le Gouvernement a décidé d’engager la procédure accélérée sur ce texte.

A l’issue de la navette parlementaire, faute d’un accord commun, une commission mixte paritaire est convoquée le 10 juillet 2019, mais celle-ci se solde par un échec. La loi d’orientation des mobilités a fait l’objet d’une adoption définitive le 19 novembre 2019, au terme d’un parcours législatif marqué par plusieurs désaccords entre l’Assemblée nationale et le Sénat, notamment sur l’encadrement des nouvelles formes de mobilités propres et partagées.

Le contenu de la loi

La loi d’orientation des mobilités, conçue comme une « boîte à outils » au service des collectivités et des acteurs du secteur des mobilités en France, compte dans sa version définitive près de 200 articles répartis en cinq titres. Plus de 6 700 amendements ont été déposés au cours du débat parlementaire.

Le titre I établit la programmation pluriannuelle des investissements de l’Etat dans les transports (27,7 milliards d’euros sur dix ans).

Le titre II a trait à la refonte de la gouvernance en matière de mobilités et fixe une nouvelle répartition des compétences qui renforce, dans une logique décentralisatrice, le rôle des collectivités territoriales et des régions.

Le titre III traite du rôle et des opportunités que peuvent jouer les services numériques innovants au service de la révolution des modes de transports.

Le titre IV encadre juridiquement le développement des nouvelles mobilités « propres » et « actives » conformément à l’objectif de réduction de l’empreinte environnementale des transports.

Enfin, le titre V comporte de nombreuses dispositions relatives au renforcement de la sûreté et de la sécurité dans les transports.

 

Les représentants d’intérêts actifs lors des débats sur la LOM

Parmi les représentants d’intérêts inscrits au répertoire, 132 ont déclaré des activités de lobbying destinées à influencer la LOM.

 

Consulter la liste des représentants d’intérêts qui ont déclaré des activités de lobbying destinées à influencer la LOM >

 

Les types d’actions que ces représentants d’intérêts ont menées se répartissent ainsi :

 

 

Les responsables publics visés par les actions de représentation d’intérêts

 

La question de l’organisation des transports et des mobilités en France revêt un caractère transversal et stratégique qui fait intervenir plusieurs ministères et administrations de l’Etat.

Les déclarations des représentants d’intérêts montrent que six catégories de responsables publics ont fait l’objet d’entrées en communication : les membres du Gouvernement, de cabinet ministériel ou les collaborateurs du Président de la République, les membres des assemblées parlementaires, les personnes titulaires d’un emploi à la décision du Gouvernement et les membres d’autorités administratives indépendantes.

Les membres du Gouvernement, de cabinets ministériels et les collaborateurs du Président

Au classement des responsables publics les plus cités, viennent en première position les membres du Gouvernement, de cabinets ministériels ou les collaborateurs du Président de la République avec 590 occurrences.

Quatorze ministères ont été sollicités, ainsi que Matignon. Comme en témoignent les déclarations des représentants d’intérêts influents sur la LOM, le ministère de la transition écologique et solidaire figure, avec 206 occurrences, en tête des administrations les plus sollicitées. Viennent ensuite le Premier ministre (122 occurrences), le ministère de l’économie et des finances (59 occurrences) suivi à égalité par le ministère du travail et celui de la cohésion des territoires (19 occurrences chacun).

Les collaborateurs du Président de la République sont cités 75 fois.

Ces données révèlent que les thématiques environnementale et énergétique se situent au cœur des dispositions de la LOM, tout comme les questions économiques, d’emploi et d’aménagement du territoire.

Le Parlement

L’Assemblée nationale ou le Sénat sont cités 345 fois par les représentants d’intérêts dans leurs fiches d’activités relatives à la LOM.

Les parlementaires, leurs équipes, ou les agents des services des assemblées parlementaires sont fréquemment cités par les représentants d’intérêts comme ayant fait l’objet d’une rencontre (rendez-vous physique, rendez-vous à distance, envoi de notes et documents).

Il est à noter que l’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE) a indiqué dans la case « Observations » de certaines fiches d’activités l’identité des responsables publics rencontré (des parlementaires et une ministre notamment).


Le décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts prévoit que doivent être renseignés le « type de décision publique » visé par l’action de représentation d’intérêts ainsi que la « catégorie des responsables publics rencontrés », sans plus de précisions. Or, ce choix limite la portée du registre et ne répond pas à la volonté de législateur de faire de ce dispositif un outil permettant de retracer l’empreinte normative. Ces catégories, assez larges et imprécises, ne donnent que peu d’informations sur les actions de lobbying effectivement menées. En outre, si les représentants d’intérêts ont la possibilité de fournir des précisions dans la rubrique « observations », l’exercice déclaratif 2020 a de nouveau montré que celle-ci n’est pas assez utilisée (elle n’a été utilisée que dans 20,5 % des cas). Il pourrait être ainsi proposé aux représentants d’intérêts d’indiquer directement la fonction du responsable public avec lequel ils sont entrés en communication (par exemple « ministre de l’agriculture » à la place de « membre du Gouvernement ou membre de cabinet ministériel »), ainsi que la décision publique concernée lorsque celle-ci est identifiée – ce que font d’ailleurs un certain nombre de représentants d’intérêts. Plusieurs dispositifs d’encadrement du lobbying en vigueur à l’étranger exigent déjà ce niveau de précision.

Source : rapport d’activité 2020 de la Haute Autorité.


Les personnes titulaires d’un emploi à la décision du gouvernement et les membres d’une autorité administrative indépendante (AAI) / autorité publique indépendante (API)

99 fiches d’activités en lien avec la LOM mentionnent, parmi les responsables publics visés par l’action de représentation d’intérêts, une personne titulaire d’un emploi à la décision du Gouvernement.

Deux autorités administratives indépendantes sont également citées dans les déclarations des représentants d’intérêts. Il s’agit de l’Autorité de régulation des transports (ART), autrefois Arafer, qui est citée à 16 reprises, et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) citée à une reprise.

 

Les stratégies de représentation d’intérêts mises en œuvre

Parmi les stratégies de lobbying déployées par les 132 représentants d’intérêts inscrits au répertoire qui déclarent des activités dans le cadre de la LOM, il est intéressant d’étudier spécifiquement celles relatives au développement de nouvelles formes de mobilités – qu’elles soient innovantes, « propres » ou « actives » – dont les enjeux économiques, environnementaux et énergétiques sont importants.

Entre innovation et nouvelles pratiques : vers une révolution des mobilités

Les représentants d’intérêts ont déployé une stratégie d’influence qui promeut l’innovation technologique comme levier de développement de nouveaux services de mobilités « propres » et durables ou comme réponse au défi d’aménagement du territoire.

L’ouverture des données « au service de l’intérêt général »

De nombreux représentants d’intérêts ont plaidé auprès des responsables publics en faveur d’une ouverture généralisée des données nécessaires au développement de services numériques de mobilité. Conséquence de la transposition en droit français de la directive européenne sur l’ouverture des données du secteur public, la loi d’orientation des mobilités favorise en effet l’intermodalité des moyens de transports, soit l’utilisation de plusieurs modes de transport au cours d’un même trajet, grâce à une meilleure information des usagers.

Sur cette thématique, cinq représentants d’intérêts se sont particulièrement mobilisés. Il s’agit de France Digitale, Michelin, et trois acteurs du secteur ferroviaire : l’Union des transports publics ferroviaires (UTP), Transdev Group et Trainline qui a eu recours aux prestations de conseil du cabinet de lobbying Lysios. L’association France Digitale, qui défend les intérêts des startups du secteur numérique et dont certains adhérents évoluent dans le secteur des mobilités, avait par exemple pour objectif de « promouvoir une large ouverture des données de mobilités non commerciales et leur pleine réutilisation ».

Ces représentants d’intérêts considèrent que le principe d’innovation technologique justifie le développement de solutions numérique du type « MaaS » (Mobility as a service). Transdev Group plaide pour « une ouverture des données de mobilité régulée et au service de l’intérêt général » quand la société Trainline, via Lysios, promeut une « ouverture des données de mobilités non commerciale et leur pleine réutilisation dans le cadre de la LOM ».

Enfin, la société Michelin a déclaré une fiche d’activité visant à faciliter « l’accès aux données d’usage des véhicules pour les acteurs économiques ».

Le développement de nouvelles pratiques

Concernant les nouvelles formes de mobilités encouragées par la loi d’orientation des mobilités, l’enjeu des mobilités dites « propres » et « partagées », comme le covoiturage, occupe une place particulière.

Deux acteurs majeurs du secteur ont fait de la représentation d’intérêts à ce sujet. Il s’agit de Comuto (Blablacar) et Karos – qui n’est pas inscrit au répertoire mais figure parmi les clients du cabinet de conseil en lobbying Image 7.

La société Comuto – Blablacar, leader en France, a déclaré deux fiches d’activités relatives à la promotion du covoiturage dans le cadre de la LOM dont l’une d’elle intitulée : « Loi d’orientation sur les mobilités, optimiser les incitations à la pratique du covoiturage présentes dans le projet de loi ».

Le cabinet Image 7 a déclaré deux fiches d’activités pour le compte de son client Karos, dont l’une d’elles est intitulée : « Valoriser les enjeux du covoiturage dans le projet de loi d’orientation des mobilités ».

Afin d’offrir une alternative à l’usage de la voiture individuelle et de lever les freins au développement de la pratique du covoiturage, le législateur a mis en place des incitations financières telles que la création du forfait mobilités durables pour les déplacements domicile-travail, notamment en covoiturage.

L’Union des entreprises de proximité, organisation défendant les intérêts des professions libérales et des commerçants a combattu la mise en place de cette mesure comme en témoigne la fiche d’activité suivante : « PLOM : s’opposer au cumul du forfait mobilité durable avec la prise en charge, par l’employeur, des frais d’abonnement de ses salariés aux transports publics ainsi que de leurs frais de carburant ». L’organisation précise dans la rubrique « Observations » que « le forfait mobilité durable est une option dont peut se saisir l’employeur alors que le remboursement des frais d’abonnement des salariés aux transports publics est une obligation légale. Pour évaluer l’impact du forfait mobilité, il est nécessaire de le maintenir distinct des autres aides dispensées par l’employeur à l’égard du transport de ses salariés. »

La pratique de « l’autopartage » a également fait l’objet d’actions de lobbying visant à faire la promotion de ce type de mobilité auprès des responsables publics. La société Bluestorage a par exemple déclaré, pour le compte de l’entreprise Blue Solutions, filiale de l’industriel français Bolloré spécialisée dans les batteries électriques, la fiche suivante : « Promotion de l’autopartage et de l’électromobilité dans la loi d’orientation des mobilités »

 Vers le développement de solutions de mobilités « propres » et « actives » au service de la transition écologique des transports

La promotion de la mobilité électrique par les industriels du secteur automobile

Les acteurs économiques privés, en particulier ceux de la filière électrique, ont saisi l’opportunité de la LOM pour faire valoir leurs propositions en matière de déploiement de la mobilité électrique (dite « électromobilité »).

La branche française de l’association européenne des véhicules électriques routiers, Avere-France, a déclaré huit fiches d’activités concernant la loi d’orientation des mobilités, parmi lesquelles « Faire valoir des propositions en matière de mobilité électrique dans le cadre du projet de loi LOM » ou « LOM : intégrer dans la loi les objectifs du Plan Climat en termes de verdissement du parc automobile français ». Elle appartient au réseau européen Avere qui regroupe des associations nationales fédératrices d’acteurs industriels et institutionnels œuvrant pour le développement de la mobilité électrique. L’organisation est également active au niveau européen, comme en atteste son inscription au registre de transparence de l’Union européenne. Au même titre que l’Avere, l’Union française de l’électricité (UFE) plaide pour que « le droit à la prise », à savoir la possibilité de bénéficier d’une borne de recharge électrique pour son véhicule, soit consacré dans la loi d’orientation des mobilités. Elle a ainsi mené des actions visant à « accompagner le déploiement du véhicule électrique et des infrastructures de recharge électriques ».

Enfin, le constructeur automobile Toyota, notamment spécialisé dans la commercialisation de véhicules hybrides, a cherché à défendre les intérêts de la filière électrique, comme en témoigne sa fiche d’activité intitulée « Obtenir par la loi ou par voie réglementaire des bonus à l’usage pour les véhicules utilisant un moteur électrique. »

 La promotion des mobilités « douces » et « actives » au service de la transition énergétique des transports     

Sur le volet de la transition énergétique, les associations et ONG environnementales ont soumis aux responsables publics un argumentaire visant à promouvoir des modes de transport dits propres et réussir ainsi leur transition écologique.

Les associations de défense de l’environnement souhaitent que l’objectif de « décarbonation » des transports guide la mise en œuvre de cette nouvelle politique publique de transports axée sur les mobilités du quotidien, comme en témoigne la fiche d’activité déclarée par l’ONG WWF « Loi d’orientation des mobilités : décliner les objectifs climatiques de la France dans les territoires au travers de plans de mobilités ». L’objectif de décarbonation des transports, fixé à l’horizon 2050, vise à réduire l’empreinte environnementale du secteur des transports, aujourd’hui responsable d’un tiers des émissions de CO2.

L’association The Shift Project a déclaré une seule fiche d’activité : « Favoriser davantage les alternatives à la voiture dans la loi d’orientation des mobilités (LOM) ».

En parallèle, les représentants d’intérêts de la filière automobile plaident pour un report de l’interdiction de vente des véhicules à moteur thermique. La Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV) a déclaré deux fiches d’activités : « Promouvoir une approche progressive de la transition écologique automobile » et « S’opposer à tout arrêt de commercialisation des véhicules thermiques ».

Les promoteurs des mobilités dites « douces » ont par ailleurs été particulièrement actifs pour faire valoir, dans le cadre de la LOM, les intérêts de la filière vélo et soutenir la mise en place d’un « plan vélo » destiné à promouvoir la pratique à l’échelle nationale. L’acteur incontournable de cette stratégie de représentation d’intérêts est la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), qui a déclaré la fiche d’activité « Intégrer une programmation ambitieuse de l’investissement dans le fonds vélo national ». L’objectif pour la FUB est de tripler la part modale du vélo d’ici à 2024 (de 3 % à 9 %). L’Union Sport et Cycle, première organisation professionnelle du secteur sportif, a quant à elle défendu une stratégie de « Sensibilisation des élus aux bienfaits d’une stratégie nationale en faveur du vélo et des mobilités actives et douces ».



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