« La prévention des conflits d’intérêts est un objectif d’intérêt général »

Tribune parue le 7 novembre 2018.

Le remaniement ministériel a une nouvelle fois posé la question de l’exercice de fonctions gouvernementales par des personnalités issues de la société civile, les uns regrettant que l’on se prive de l’expérience de personnes ayant une compétence particulière, les autres que l’on nomme des « lobbyistes ». Si les débats autour de cette notion de conflit d’intérêts semblent parfois abstraits, l’enjeu est, pour notre société, de renouer avec la confiance publique.

Tout citoyen est en droit d’exiger, dans une société démocratique, une décision publique impartiale, indépendante et objective. Prévenir les conflits d’intérêts des responsables publics, c’est protéger l’intérêt général et créer les conditions de la confiance des citoyens envers leurs dirigeants en mettant en place différents mécanismes (déclarations publiques d’intérêts, déports, répertoire des représentants d’intérêts…) qui tendent à garantir une prise de décision qui ne soit pas biaisée par des intérêts personnels.

Risque démocratique

Loin d’instaurer une suspicion envers le responsable public, la démarche de prévention du conflit d’intérêts a pour ambition de le protéger, en l’aidant à prendre toutes les précautions lui permettant d’éviter les risques de commettre le délit de prise illégale d’intérêts et d’être en situation de conflit d’intérêts. Si le risque pénal individuel est fort, le risque démocratique l’est encore davantage.

Toutefois, il ne suffit pas d’avoir un réseau personnel ou une carrière dans un secteur particulier pour se retrouver en situation de conflit d’intérêts. Dans notre droit, le conflit d’intérêts se caractérise dès lors que trois éléments sont réunis, et uniquement si ces trois éléments sont réunis. Le premier est la détention d’un intérêt ; le second est l’interférence de cet intérêt avec la mission publique ; le troisième est l’intensité de cette interférence qui doit être suffisamment forte pour qu’elle fasse naître un doute sur la capacité du responsable public à prendre des décisions impartiales, objectives et indépendantes. Cette définition nécessite une analyse concrète au regard d’éléments de faits.

L’exemple des déports pris par le gouvernement à l’égard de deux anciens ministres illustre la nécessité d’une approche pragmatique. Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire, n’avait pas à se déporter des questions environnementales, sujet pour lequel il avait acquis une longue expérience, mais des sujets relatifs à sa fondation et aux produits cosmétiques en raison de la détention d’un intérêt persistant sur ces questions par l’intermédiaire d’une société dont il était le propriétaire.

Attentes légitimes

Dans un autre domaine, Françoise Nyssen a eu à se déporter des actes relatifs à la société Actes Sud, à la tutelle du Centre national du livre et à la régulation économique du secteur de l’édition littéraire. En quittant le ministère de la culture, elle a regretté « ne pas avoir pu pleinement faire profiter le gouvernement de son expérience d’éditrice ». Pourtant, cette obligation de déport n’était pas liée à son expérience d’éditrice mais bien à sa qualité de propriétaire d’une maison d’édition, c’est-à-dire à la détention d’un intérêt financier immédiat dont elle ne pouvait se départir sauf à vendre ses parts (ce qui aurait été une mesure exorbitante).

Avoir effectué un parcours professionnel riche dans le secteur privé ou associatif n’empêche en rien d’assumer des responsabilités ministérielles ou publiques. Ce qui n’est pas possible, c’est de prendre des décisions publiques lorsque l’on détient encore un intérêt permettant de profiter directement de ces décisions.

La prévention des conflits d’intérêts est un objectif d’intérêt général dans une société démocratique. La réflexion déontologique permet de prendre les précautions nécessaires pour que le responsable public exerce ses fonctions dans les meilleures conditions, quel que soit son parcours. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, que j’ai l’honneur de présider, s’attache à répondre à ces attentes légitimes que ce soit lorsqu’elle examine les déclarations d’intérêts qui lui sont remises, lorsqu’elle fournit un conseil déontologique personnalisé aux déclarants qui rencontrent une difficulté dans l’exercice de leur mission, ou, à l’issue des fonctions publiques, lorsqu’elle se prononce sur la reprise d’une activité privée.

Jean-Louis Nadal est aussi procureur général honoraire près la Cour de cassation

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