Entretien accordé par Jean-Louis Nadal au journal Le Parisien-Aujourd’hui en France

Propos recueillis par Odile Plichon | 19 Avril 2014

Présidée par Jean-Louis Nadal, ex-procureur général près de la Cour de cassation, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a indiqué, hier, qu’elle étudiait le dossier d’Aquilino Morelle.

LE PARISIEN. Créée après l’affaire Cahuzac, la Haute Autorité que vous dirigez commence à faire parler d’elle comme on le voit, notamment, avec Aquilino Morelle…

JEAN-LOUIS NADAL. Je crois en effet que nous démontrons, moins de quatre mois après notre création, que nous sommes opérationnels et que nous prenons notre mission très au sérieux, aussi bien pour ce qui concerne les questions de déontologie que pour celles de contrôle du patrimoine et de prévention des conflits d’intérêts. Cela, en toute indépendance.

Il y a peu, c’est l’ex-secrétaire d’Etat à la Francophonie Yamina Benguigui que vous suspectiez de ne pas avoir déclaré son patrimoine de façon transparente…

Aujourd’hui, c’est au parquet de Paris, à qui nous avons transmis ce dossier, de décider des suites à donner à notre signalement. Il a d’ailleurs immédiatement confié l’enquête préliminaire au nouvel Office central de lutte contre la délinquance financière et fiscale. Nous serons attentifs aux décisions de la justice.

Certains vous ont accusé d’avoir frappé trop fort…

La décision de transmettre à la justice ne peut être que le résultat d’un processus exemplaire, qui atteste de notre indépendance. Pour ce cas, comme pour ceux à venir, dès lors qu’il existera un « doute sérieux » sur une déclaration de patrimoine, la Haute Autorité confiera le soin à une personne indépendante — un rapporteur — d’étudier le dossier, avant de présenter ses conclusions devant le collège. Ce collège, composé de neuf personnes, réunit des conseillers de la Cour de cassation (culture judiciaire), des conseillers d’Etat (culture administrative), des conseillers de la Cour des comptes (culture financière) et des personnalités qualifiées. Ces membres débattent sur le fond, sans concession.

Que reprochez-vous à Yamina Benguigui ? De ne pas avoir déclaré les parts qu’elle avait dans une société belge* ?

Le collège a estimé que M me Benguigui avait commis, dans ses différentes déclarations de patrimoine et d’intérêts déposées depuis 2008, des omissions suffisamment graves et répétées pour que celles-ci soient signalées au procureur de la République de Paris. En effet, celles-ci sont susceptibles de constituer des infractions pénales. Nous avons également estimé qu’il s’agissait d’un comportement d’autant plus grave pour un membre du gouvernement que la loi a prévu, pour eux comme pour l’ensemble des responsables publics, des obligations particulières en matière de probité et d’intégrité. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en est le garant. C’est pour cela qu’elle a été créée.

Que risque une personne ayant menti dans une déclaration ?

La loi prévoit que la sanction pénale peut aller jusqu’à trois ans de prison, 45 000 € d’amende et dix ans d’inéligibilité.

Rendrez-vous publique chaque saisine de la justice ?

Nous serons le plus transparent possible.

Après cette affaire, certains ont-ils amendé leurs déclarations ?

Je ne peux répondre à cette question.

Qui contrôlez-vous exactement ?

La Haute Autorité contrôle près de 9 000 personnes : les membres du gouvernement et du Parlement, les grands élus locaux, les collaborateurs du président de la République, des ministres et des présidents des assemblées, mais aussi, c’est important, les dirigeants des principales entreprises publiques.

Il existait une commission pour la transparence financière… Qu’apporterez-vous de plus ?

La différence est considérable, car nos pouvoirs sont étendus. L’ancienne commission — qui dénonçait d’ailleurs cet état de fait — avait parfois des doutes, mais qui étaient difficiles à étayer faute de moyens d’action suffisants. Grâce aux nouvelles lois sur la transparence, nous sommes désormais en capacité, grâce notamment à l’excellence de la coopération avec les services de Bercy, d’exercer un contrôle efficace : nous pouvons non seulement vérifier ce qui est déclaré… mais aussi détecter ce qui ne l’est pas !

Quel est le calendrier pour les membres du gouvernement tout juste nommés ? Quand leurs déclarations seront-elles rendues publiques ?

Le travail est bien avancé. Nous avons commencé par l’examen des dossiers des membres qui appartenaient déjà au précédent gouvernement ; nous le poursuivons pour ceux qui viennent de faire leur entrée, de telle sorte que nous devrions pouvoir rendre public l’ensemble de leurs déclarations avant l’été.

L’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac ayant « omis » de déclarer son compte en Suisse pendant des années, l’ancienne commission avait porté l’affaire en justice. Où en est-on ?

L’ancienne commission avait en effet signalé ces anomalies au parquet de Paris en juillet 2013. Ce dossier est toujours à l’instruction.

A quel moment aurez-vous le sentiment d’avoir vraiment fait bouger les lignes ?

Beaucoup se focalisent sur les déclarations de patrimoine, or nous avons aussi une mission — essentielle — de conseil afin de prévenir le plus en amont les conflits d’intérêts potentiels. J’espère qu’à terme, grâce à ce travail de pédagogie, les acteurs eux-mêmes seront habités par ces impératifs de probité.

Qui peut saisir la Haute Autorité ?

D’abord, les responsables publics eux-mêmes lorsqu’ils se posent des questions d’ordre déontologique. Mais également certains lanceurs d’alerte comme les associations de lutte contre la corruption. L’Etat de droit, c’est l’affaire de tous.

Comprenez-vous le défiance de l’opinion vis-à-vis de la classe politique ?

Oui, même si à mes yeux la majorité des responsables publics sert l’Etat avec passion, dévouement et honnêteté. Rétablir la confiance entre les citoyens et leurs représentants n’est pas chose aisée — j’en ai bien conscience aujourd’hui –, mais c’est indispensable. A cet égard, je le répète, je crois qu’il ne faut pas se focaliser uniquement sur la question du contrôle du patrimoine. L’essentiel, c’est de faire progresser, à tous les niveaux de l’Etat, la prévention des conflits d’intérêts. C’est la mission de la Haute Autorité et notre ambition est de faire de cette institution le gardien de la déontologie républicaine.

* Elle aurait vendu début 2014 plus de 400 000 € d’actions d’une société de droit belge, G2.

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