Entretien au Parisien : transparence de la vie publique, « une cinquantaine d’enquêtes sont en cours »

Avant son départ de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), Jean-Louis Nadal dresse en exclusivité le bilan de l’institution fondée en 2013.

Il y a six ans, la HATVP a été créée dans un climat de défiance à l’égard de la probité des élus, alimenté notamment par l’affaire Cahuzac. La situation s’est-elle améliorée depuis ?

La probité est entrée dans la culture des décideurs politiques, et plus largement des décideurs publics. 99 % des personnes contrôlées aujourd’hui sont en règle par rapport aux dispositions des lois sur la transparence de la vie publique. Mais il suffit d’un seul dérapage pour que retentisse ce cantique extrêmement populiste et dévastateur du « tous pourris »

La bataille sera gagnée lorsque les citoyens arrêteront de manifester de l’agressivité à l’égard des décideurs et que cette défiance délétère disparaîtra. Il faut être sincère, ce n’est pas encore le cas. Il y a eu un sursaut, mais nous sommes toujours dans la reconquête.

Considérez-vous que la HATVP a rempli sa mission ?

Nous avons su gagner la confiance de tous. La preuve : les moyens et les outils mis à la disposition de la HATVP n’ont cessé de se développer. Nous sommes passés de 20 à 51 agents, et notre budget de 2,85 à 6,47 millions d’euros. Ce qui nous permet à la fois d’affiner et d’élargir notre spectre : contrôle du patrimoine, des intérêts et, le cas échéant, d’autres infractions à la probité comme la prise illégale d’intérêt, l’abus de bien sociaux, détournements de fonds publics, etc. Aujourd’hui plus de 2000 personnes sont contrôlées par an sur 15 000 mandats ou fonctions  publiques visés et 10 000 l’ont été depuis 2013. Nous sommes en train de dresser une cartographie des risques, en fonction des lieux et des mandats.

À quelles difficultés vous êtes-vous heurté ?

Quand je suis arrivé ici, il y avait des tonnes de papiers (déclarations manuscrites enfermés dans des coffres-forts. C’était la fin de la commission pour la transparence financière de la vie
politique. Nous étions dans le néolithique du papier, ce qui a beaucoup fait rire nos détracteurs au début, et nous avons basculé dans la modernité avec la dématérialisation des déclarations.

Les élus ont-ils volontiers accepté de remplir leurs déclarations ?

Il a fallu beaucoup cravacher pour convaincre nos assujettis de se plier à la loi. Au début nous avions des élus qui faisaient remplir leurs déclarations par leurs épouses ou leurs compagnes tellement cette obligation les indisposait. La déclaration des biens mobiliers, et donc des œuvres d’art paraissait à certains totalement incongru. Je me souviens d’un élu qui m’a téléphoné pour me demander s’il devait déclarer son cheval de course et dans quelle rubrique il devait le faire. Ou d’un autre m’expliquant ne pas pouvoir accomplir son pensum car il était sur la plage à Bora-Bora. Cela a été un travail considérable de conseil, d’accompagnement et de pédagogie.

Avez-vous subi des pressions ?

Jamais, de qui que ce soit. La Haute Autorité fonctionne sous forme de collège avec de hauts magistrats et des personnalités spécialisées. C’est un rempart à toute pression. Il est impossible de pénétrer ou d’influencer ce conclave d’où rien ne transpire. Notre indépendance est reconnue et respectée. Aujourd’hui nous sommes consultés pour donner des feux verts ou des feux rouges lors  de constitution ou de remaniement de gouvernement. Il n’y a jamais eu de nomination avec un avis défavorable de la HATVP .

Depuis sa création, combien de fois la HATVP a-t-elle saisi la justice ?

En six ans, nous avons saisi la justice 73 fois. Nous avons obtenu 12 condamnations et une cinquantaine d’enquêtes sont en cours. Une quinzaine concerne des détournements présumés d’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM).

Disposez-vous de suffisamment d’autonomie, notamment par rapport à l’administration fiscale ?

Nos relations avec la Direction générale des finances publiques sont excellentes. Nous avons des accès de communication directs à plusieurs bases de recherche : patrim (transactions immobilières, ficoba (fichiers de comptes bancaires, bases notariales. Néanmoins il demeure des bases où nous sommes contraints de passer par la DGFIP : déclarations de revenus ou consultation des soldes de comptes bancaires. Ce qui allonge les délais de procédure (deux à trois mois et augmente le nombre d’interlocuteurs informés de nos investigations. Une plus grande autonomie nous ferait gagner en efficacité. Nous réclamons aussi plus de fluidité et de régularité dans la transmission des informations émanant des registres des représentants de lobbies. À ce titre, nous militons pour un délit d’entrave à titre dissuasif. Il faut aussi revoir le dispositif lié aux déclarations de patrimoine de parlementaires, seulement accessibles en préfecture, selon un système très complexe : consultation sur rendez-vous, sans téléphone, ni stylo sur soi…

 

Propos recueillis par

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