« L’inéligibilité pour les politiques qui ont fraudé »

Entretien accordé par Jean-Louis Nadal au site internet de l’Obs

14 septembre 2016 – Propos recueillis par Caroline Michel

Le procès de Jérôme Cahuzac se termine au tribunal correctionnel de Paris. C’est ce scandale qui a conduit voilà deux ans à la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, que vous présidez. Croyez-vous qu’un ministre pourrait aujourd’hui, comme Jérôme Cahuzac, cacher un ou plusieurs comptes à l’étranger ?

L’affaire Cahuzac a été un chaos démocratique que personne ne veut revivre. C’est le défi lancé à la Haute Autorité depuis sa création. Nous avons été dotés de pouvoirs élargis par rapport à la précédente Commission pour la transparence financière de la vie politique, avec la mission de détecter les situations graves et de les signaler, le cas échéant, à la justice, ce que nous avons fait à seize reprises en deux ans [les époux Balkany, Yamina Benguigui, Serge Dassault… NDLR].

Aujourd’hui, dès qu’un ministre est nommé, la Haute Autorité saisit la Direction générale des finances publiques pour obtenir tous les éléments fiscaux concernant cette personne. La Haute Autorité a aussi la possibilité d’enquêter à l’étranger en mobilisant l’assistance administrative internationale.

Ce sont de réelles avancées. Avec un bémol toutefois : face à un système de fraude sophistiqué, une seule institution ne peut pas tout. C’est le partage d’informations avec d’autres acteurs – l’administration fiscale, Tracfin, la justice – qui peut permettre de détecter de telles situations. Nous contribuons ainsi à créer une culture déontologique qui doit renforcer l’exemplarité démocratique dans notre pays.

L’affaire Thévenoud a été une deuxième secousse après l’affaire Cahuzac qui a conduit à appliquer un principe de précaution. Lors des remaniements qui ont suivi, le président de la République et le Premier ministre se sont renseignés auprès de nous avant de désigner les ministres.

On pourrait aller plus loin. Dans un rapport sur l’exemplarité des responsables publics, que le président de la République m’avait commandé après l’affaire Thévenoud, en janvier 2015, j’avais préconisé que tout candidat à une élection nationale, locale ou européenne présente la garantie qu’il paie ses impôts. Il ne s’agit pas d’être intrusif. Mais il serait désastreux que tout citoyen paie l’impôt mais que l’élu puisse s’y soustraire. Pour l’heure, le législateur ne s’est pas saisi de l’idée, pas encore, mais je suis sûr que le temps joue pour nous.

La Haute Autorité a une action de prévention et de dissuasion. Pensez-vous que l’outil répressif, incarné par les juges, soit à la hauteur de l’enjeu ? Le procès Dassault récent, dont le jugement a été reporté pour des questions de procédure, a montré à quel point les juges semblent avoir du mal à se prononcer face à la délinquance en col blanc.

Dans un contexte économique grave, où les gens voient des sommes folles défiler, il y a des décisions de justice qui peuvent laisser interrogatifs. On peut comprendre le sentiment d’écœurement de nos concitoyens face à certains agissements. Que peut-on faire ? La justice a besoin de moyens. Ici, à la Haute Autorité, nous sommes 34 pour 14.000 déclarants. Le Parquet national financier, lui aussi créé après le scandale Cahuzac, est à peine plus nombreux. L’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, créé pour traiter ce type d’affaires financières, est débordé. Il faut attendre quatre mois, après une saisine du parquet, pour que l’enquête démarre vraiment. Le temps joue pour les délinquants en col blanc.

L’effet est encore pire quand ces lenteurs de la justice concernent des élus. C’est pourquoi je suis pour associer à la sanction pénale une sanction politique, sous la forme d’une peine d’inéligibilité. Les juges doivent arriver à vaincre une forme de frilosité. Un constat : en 2013, il y a eu 149 condamnations pour atteinte à la probité publique et seulement deux modestes peines d’inéligibilité. Ces peines  sont prévues dans notre droit mais elles sont facultatives et, dans les faits, rarement prononcées. Dans le projet de loi Sapin II (qui sera examiné en Commission mixte paritaire ce mercredi 14 septembre), il est prévu d’en faire une peine obligatoire, c’est-à-dire que les juges soient obligés de se prononcer pour ou contre l’inéligibilité de celui qui est condamné.

Malgré les avancées réelles en matière de transparence, il existe encore un régime d’exception, celui des candidats à l’élection présidentielle. Le Conseil constitutionnel a refusé à la Haute Autorité la possibilité de contrôler les déclarations de patrimoine des candidats à la présidentielle. Le déplorez-vous ?

Avant cette élection, les déclarations de patrimoine étaient déposées au Conseil constitutionnel. Mais seule celle du candidat élu était publiée au Journal officiel. Désormais, et c’est une avancée considérable, tous les candidats à l’élection présidentielle vont voir leur patrimoine rendu public sur le site Internet de la Haute Autorité.

C’est vrai, nous n’aurons pas la possibilité de contrôler ces déclarations. Le Conseil constitutionnel a estimé que si la Haute autorité exprimait une réserve sur la déclaration de tel ou tel, cela pourrait interférer sur le résultat de l’élection présidentielle. De toutes les façons, nous aurions été confrontés à un problème de temps. Il nous faut au moins trois à quatre mois pour contrôler une déclaration de patrimoine. Dans le cas des candidats à la présidentielle, il faudrait que l’on puisse faire le même travail en quelques semaines, puisque la liste des candidats n’est connue qu’un mois environ avant l’élection. Finalement, c’est une sorte de contrôle citoyen qui s’exercera. Les candidats savent que leurs déclarations seront observées.

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