« La transparence permet aux citoyens de savoir qui sont leurs élus »

Entretien accordé par Jean-Louis Nadal au journal Le Monde

Le Monde.fr | 27.06.2014 à 10h44 | Propos recueillis par Emeline Cazi

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, présidée par Jean-Louis Nadal, publie vendredi 27 juin les déclarations de patrimoine et d’intérêts des membres du Gouvernement.

Le Monde – Quelle différence y a-t-il avec les déclarations publiées l’année dernière ?

Jean-Louis Nadal : La différence est fondamentale. La transparence ne se réduit pas à la publication de déclarations, elle suppose un travail d’expertise et de contrôle. L’exercice de l’année dernière était hautement symbolique, mais purement déclaratif. Rien ne permettait d’attester la véracité des déclarations : on l’a d’ailleurs vu, quelques mois plus tard, lorsque les déclarations de Mme Yamina Benguigui ont été contrôlées (l’ancienne ministre déléguée chargée de la francophonie avait dissimulé les parts qu’elle détenait dans une société à l’étranger – une enquête préliminaire est en cours). Là, pour la première fois, une autorité indépendante a vérifié les informations déclarées par les plus hauts responsables publics.

De quels moyens disposez-vous pour vérifier ces informations ?

La Haute Autorité travaille avec les administrations de l’Etat, et en particulier l’administration fiscale, avec qui nous avons noué un partenariat privilégié. C’est essentiel, notamment pour détecter de possibles avoirs à l’étranger. Nous avons eu aussi de très nombreux échanges avec les membres du gouvernement pour demander des précisions ou des documents, nécessaires à la compréhension de leur déclaration.

La Haute Autorité a formulé « une appréciation » sur la déclaration de Jean-Marie Le Guen, le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement. Qu’est-ce qu’une appréciation ?

Une appréciation est une observation que fait la Haute Autorité sur le contenu d’une déclaration à la lumière des informations qu’elle a recueillies : un dialogue s’engage avec les déclarants. Ce travail est invisible car les précisions que nous demandons viennent le plus souvent confirmer la déclaration initiale. Si nous démasquons une entorse à la probité publique, nous devons transmettre à la justice. Entre les deux, il y a une zone grise, un ensemble de négligences ou d’erreurs qui doivent être portées à la connaissance du public en raison de l’importance des lacunes dans les déclarations.

Pensez-vous qu’ainsi l’affaire Cahuzac aurait pu être évitée ?

C’est ma conviction. Même si elles ne sont pas illimitées, nos prérogatives sont bien plus importantes que celles dont disposait l’ancienne Commission pour la transparence financière de la vie politique. Nous avons même la possibilité de demander une assistance administrative internationale pour aller chercher des informations à l’étranger, si c’est nécessaire. Par ailleurs, la publication des déclarations permet aux personnes ayant connaissance d’éléments non déclarés de nous l’indiquer.

Les déclarations de conflits d’intérêts sont assez peu remplies. Cette démarche est-elle encore assez étrangère en France ?

C’est vrai qu’il ne faut pas se focaliser sur la question du contrôle des patrimoines et perdre de vue l’impératif de progresser dans la prévention des conflits d’intérêts. Pendant longtemps, la France a estimé que toute entorse à la probité pourrait être détectée en suivant attentivement les évolutions du patrimoine des responsables publics. On en a vu les limites. Aujourd’hui, l’objectif est de créer une véritable culture déontologique, un « habitus » déontologique pour paraphraser Pierre Bourdieu. Les responsables publics devraient sans cesse se demander : est ce que mes concitoyens pourraient estimer que j’ai pris cette décision dans mon intérêt personnel plutôt que dans l’intérêt général ? Est-ce que la décision que je suis en train de prendre aurait dû, compte tenu de mes intérêts personnels, être prise par un autre ? Au vu des demandes d’avis que nous recevons régulièrement, je crois que les choses avancent et que la Haute Autorité répond à un réel besoin de conseil.

Les parlementaires vous ont également adressé leurs déclarations. Quand seront-elles rendues publiques ?

Leurs déclarations d’intérêts, qui sont les plus immédiatement utiles pour une meilleure prévention des conflits d’intérêts, seront publiées dans moins d’un mois sur le site internet de la Haute Autorité. Leurs déclarations de patrimoine pourront, elles, être consultées dans les préfectures à l’automne, lorsque nous aurons fini de les examiner. Ce contrôle nécessite des échanges avec l’administration fiscale et les parlementaires, et cela prend nécessairement du temps.

Les Français ont une grande défiance envers la classe politique. La transparence peut-elle faire changer les choses ?

La confiance vis-à-vis des politiques ne sera pas simple à rétablir, mais c’est indispensable. La transparence peut y contribuer en permettant aux citoyens, comme l’a noté le Conseil constitutionnel « de s’assurer, par [eux-mêmes], de la mise en œuvre des garanties de probité et d’intégrité de leurs élus ». Je suis convaincu que la transparence participe de la création d’un système vertueux où chacun – autorité de contrôle, citoyens, élus – contribuent à prévenir les conflits d’intérêts. Les électeurs ont un rôle essentiel à jouer puisqu’ils ont la possibilité, s’ils ont connaissance d’éléments ne figurant pas dans les déclarations publiées, d’en faire part à la Haute Autorité.

Certains dénoncent une tyrannie de la transparence…

La première vertu de la transparence, c’est de dissiper les rumeurs et les fantasmes. Elle permet aux citoyens de savoir qui sont leurs élus. Je suis convaincu que le mouvement actuel de transparence est utile à la démocratie. Il construit des citoyens mieux informés, plus interrogatifs peut-être, mais qui peuvent, s’ils le veulent, mieux tenir leur fonction citoyenne. De nombreuses démocraties, tout aussi respectables que la nôtre, pratiquent cette transparence depuis des années.

Justement, où se situe désormais la France par rapport aux pays étrangers ?

La France a rattrapé son retard. Rien qu’en Europe, une quinzaine de pays pratique la transparence, comme la Suède, le Danemark, l’Espagne, la Pologne, l’Irlande ou la Roumanie. Je crois même que notre pays est désormais l’un des pays les plus avancés sur les questions de prévention des conflits d’intérêts.

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